À l'écoute de notre passé: paroles d'aînés inuit

May 25, 2013

Les citations suivantes sont extraites d'une série d'entrevues menées au Nunavut avec des aînés inuit qui évoquent leurs souvenirs. Quelques-unes de ces entrevues ont été publiées par le Nunavut Arctic College et mises en ligne sur le site «À l'écoute de notre passé »: http://www.traditional-knowledge.ca/francais/default.html
Mariano Aupilaarjuk Je pense qu’on doit commencer à réfléchir et à se demander d’où viennent les Inuit et où nous allons aller à l’avenir. Je pense que nous nous trouvons sur une route à trois voies. Il nous faut vraiment bien réfléchir à tout ça parce que nous devons préparer l’avenir. Nous devons regarder vers le passé et constater où nous sommes rendus, nous devons examiner où nous nous trouvons aujourd’hui. Nous voyons que la condition physique et mentale des gens se détériore. Nous devons commencer à revivre. Perspectives sur le droit traditionnel. (Page 39)
Elisapee Ootoova Mon père n’avait plus son bateau à cette époque-là parce que quelqu’un d’autre l’utilisait. On lui avait donné un bateau quand il travaillait pour la Gendarmerie Royale du Canada. On lui avait aussi fourni l’équipement. Il avait laissé ce bateau dans la région de Tununirusiq. Dans le campement où nous étions, il n’y avait pas de matériaux pour fabriquer un bateau. Je ne me souviens pas bien parce que je n’avais que six ans. Il y avait un vieux bateau, qui avait appartenu aux baleiniers, qui se trouvait près de notre campement. Mon père en a récupéré le bois et s’en ai construit une petite embarcation. Il ne lui a fallu que cinq peaux de phoque pour la recouvrir. C’était vraiment un tout petit bateau. Il l’a fabriqué pour pouvoir aller sur l’eau et attraper les phoques qu’il tuait au fusil. Cet été-là, mon père avait tué vingt baleines. Je ne me souviens pas de ça moi-même mais mon frère s’en souvient et il a souvent écrit à ce sujet. On n’a jamais souffert de la faim. Comme mon père avait été orphelin très jeune, il était devenu un chasseur motivé et il était très compétent pour subvenir aux besoins de sa famille. À cette époque-là, les enfants n’avaient pas d’argent. La seule source d’argent provenait de la vente des fourrures de renard et des défenses de narvals. C’était comme ça, dans le vieux temps. Je peux même me rappeler quand on manquait de savon. Il se passait de longues périodes sans que l’on ait de contacts avec les qallunaat. Ce n’est que quand la glace commençait à se former qu’on pouvait aller là où il y avait des qallunaat, pour acheter des produits tels que du thé et du sucre.(Page 44)
Herve Paniaq Le premier animal que j’ai tué, je ne l’avais pas attrapé moi-même. On avait l’habitude d’aller s’approvisionner à Ikpiarjuk au printemps parce qu’il n’y avait pas de poste de traite dans notre région. Après avoir trappé des renards pendant l’hiver, on allait échanger leurs peaux à Ikpiarjuk et à Mittimatalik. Mais ça c’était avant l’époque de mes premiers souvenirs. On allait à Ikpiarjuk avec mon grand-père. On campait dans la baie d’Ikpiarjuk pendant que les hommes allaient faire la traite. Un jour, alors qu’on avait établi notre campement sur la glace, mon père a brisé la glace en sautant dessus et il a attrapé quelque chose de jaunâtre. Je ne savais pas ce que c’était. Il se trouve que c’était un bébé phoque. Ils l’ont mis sur le qamutik. Nous avions un bâton de bois dont on se servait pour secouer la neige des kamiit, ou des peaux; on appelait ça un tiluktuut. On m’a donné ce bâton et je m’en suis servi pour frapper le bébé phoque jusqu’à ce qu’il cesse de bouger, et tout le monde a dit que j’avais attrapé mon premier phoque. Après ça, on a vu un phoque qui s’était aventuré loin de son trou de respiration, qu’on appelait un paarnguliaq. Mon frère m’a pris par la main tout en apportant le fouet à chien qui avait un manche en bois. Il s’est servi du manche pour tuer le phoque. J’en avais donc attrapé un plus gros. Ce sont les deux animaux dont je me souviens clairement comme ayant été mes premiers gibiers. (Page 53)
Saullu Nakasuk Mais [les femmes] accouchent n’importe quand, quelle que soit l’heure, tôt le matin ou pendant la journée, n’importe quand. Les gens venaient nous chercher pour aller faire un accouchement même pendant la nuit. On n’avait pas le téléphone, alors ils venaient simplement nous chercher. On s’habillait en vitesse. Quand ma jeune sœur était sur le point d’accoucher, je ne dormais pas bien. Je savais qu’ils allaient venir me chercher quand elle serait prête à accoucher. Je m’étais même gardée de couper l’ongle de mon majeur. C’était la seule chose que j’utilisais pour briser la poche des eaux. Je gardais toujours cet ongle assez long parce que c’était la seule chose avec laquelle je perçais la poche des eaux. Il y en a [des poches] qui sont épaisses, d’autres qui sont minces. C’est pour ça que l’accouchement prend si longtemps. Une fois que la poche est percée, le bébé sort. (Pages 87-88)
Pauloosie Angmarlik On allait à Pangniqtuuq en traîneau à chiens si la piste était en bon état. Mais si la piste n’était pas praticable, alors ce n’était pas possible de s’y rendre. Ce n’est pas tout le monde qui y allait, mais quand la piste était en bon état, les gens qui vivaient dans les camps éloignés allaient à Pangniqtuuq de temps à autre. Plusieurs s’y rassemblaient. Seulement à l’occasion, je pense, pas tout le temps. Quelques fois on y allait pour faire de la traite par la même occasion, parce que Pangniqtuuq était le seul endroit où on pouvait pratiquer la traite. Peu après, il y a eu des qallunaat à Pangniqtuuq. La personne dont je porte le nom, Ammaalik, avait son propre magasin quand on habitait dans notre campement. Il entreposait des marchandises pour les vendre. Il l’a fait pendant plusieurs années jusqu’à ce que le gouvernement lui dise de s’arrêter. Ils ont dit qu’ils ne voulaient pas qu’un Inuk tienne un magasin. (Page 125)
Sources: OOSTEN, Jarich, Frédéric LAUGRAND et Wim RASING (Dir.), 2001, Entrevues avec des aînés inuit. Volume 2. Perspectives sur le droit traditionnel. Iqaluit: College Arctique du Nunavut. http://www.traditional-knowledge.ca/francais/default.html


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